dimanche 14 août 2011

Une idée saugrenue


                          Katmandou

Tout a commencé à Katmandou. C'est là que j'ai sympathisé avec Benjamin Pradine, un jeune Breton vivant avant son départ à Bourg-Saint-Maurice. On avait l'habitude de partager des bières le soir, avec d'autres Français baroudeurs, Aurélien, Caro, Tom et d'autres encore, en bas du Century Lodge où nous résidions. 

Ben, dit Pradinec en train de savourer un tchaï, thé indien au lait, épicé, dans la ville de Manali en Inde. (photo FG)

Ce petit hôtel, qui était déjà ouvert dans les années 60, se situe dans le mythique quartier de Freakstreet, mecque des hippies dans les années 70, un endroit magique, au cœur de la capitale népalaise. 

   
 Temple hindou, Katmandou (photo FG)

Le verbe haut perché, doté d'un bon sens de l'humour, Ben, électricien-plombier de son état (que d'aucuns appellent Plom-Plom mais que je ne tarderai pas à surnommer Pradinec, eu égard à sa région d'origine), a attendu 27 ans avant de commencer à voyager. 

Katmandou (photo FG)

Depuis il se rattrape bien : après un passage par le Vietnam, il a enchaîné par le Laos et le Cambodge. Il a poursuivi par le Myanmar 1, où il s'initiera à la méditation transcendantale dans un temple bouddhiste, avant de continuer par le Népal où nous avons fait connaissance. On se retrouvera après en Inde, à Darhamsala. Par la suite, il continuera en Malaisie, en Chine, en passant par les Philippines, jusqu'à son plus gros coup de cœur, le Sri Lanka, où il a décidé de s'installer, mais n'allons pas trop vite.



                     Échapper à la mousson

Nous voilà donc à Darhamsala, capitale de la diaspora tibétaine en Inde, fin juin et la mousson approche à grands pas. Dans les mois qui vont suivre, toute l'Inde va être copieusement arrosée par des trombes d'eau à n'en plus finir. 

Un avant-goût de mousson, au Népal (photo FG)

Enfin, pas tout à fait toute l'Inde : seuls devraient y échapper le Ladhak et le Cachemire. Cette dernière région, qui avait connu presque trois ans de calme relatif vient juste de s'embraser à nouveau, après que l'armée y a abattu deux enfants musulmans de 10 et 11 ans au cours d'un rassemblement... Depuis, les manifestations sécessionnistes se multiplient, entraînant une répression féroce de l'armée qui dégénère souvent dans le sang. De nombreuses routes sont bloquées en signe de protestation et le couvre-feu a été instauré, avec interdiction de circuler le soir, et la fermeture des commerces pendant l'essentiel de la journée. Même moi qui n'hésite pourtant pas à aller traîner mes guêtres dans des endroits réputés sensibles, je dois reconnaître que le panorama n'est guère engageant, d'autant que cette fois, je ne voyage pas seul, mais en compagnie de ma femme...
                          
                          
                   Des Annapurnas au Ladakh

D'un autre côté, j'avoue n'éprouver à ce moment qu'un intérêt très modéré pour le Ladakh, que j'imagine assez proche de la région gurung que nous avons traversée en trek, au népal, en faisant le tour des Annapurnas. Non que cette région ne m'ait pas plu, c'est plutôt que j'ai envie de découvrir des cultures différentes.

Région gurung (photo FG)

Les Gurungs sont un peuple de culture tibétaine qui vivent eux-aussi dans les paysages arides (quand ils ne sont pas enneigés) des hautes montagnes de l'Himalaya. 

Femme de l'ethnie gurung (photo FG)


Ma femme, en revanche manifeste un vif intérêt pour connaître le Ladakh où les traditions tibétaines ont pu mieux se conserver que dans le Tibet occupé par les Chinois. L'Inde n'est en effet en rien hostile aux Ladakhis, ni même aux exilés tibétains comme nous le verrons à Darhamsala. C'est dans cette ville que le Dalaï Lama « et sa clique », comme les appelle le gouvernement chinois, s'est réfugié. Nous aurons d'ailleurs l'occasion de le voir à l'occasion d'une fête, dans le temple où il demeure depuis des décennies (quand il n'est pas sur les routes aux quatre coins de la planète pour défendre la cause des siens ou essayer de diffuser le message du bouddhisme tibétain2).

                  
                    Les plus hautes routes du monde 

Il y a encore deux autres aspects qui me rendent réticents à l'idée d'aller au Ladakh. Le premier c'est qu'il faut, pour y parvenir, passer par des cols à plus de 5000 mètres, et donc emprunter les plus hautes routes du monde, or j'ai découvert au Népal, lors de la traversée de l'Annapurna, que j'étais sujet au mal des montagnes. j'avais d'ailleurs préféré me rapatrier dans la plaine en avionnette, les symptômes étant assez violents et le risque que ça évolue en œdème pulmonaire ou cérébral, n'étant pas à négliger. 

Dans l'avionnette qui me reconduit de l'Himalaya népalais jusqu'à la plaine, en passant au milieu de défilés impressionnants (photo FG)

L'autre aspect tient au fait que j'éprouve une véritable aversion pour les très longs trajets en bus depuis un interminable voyage de plus de 70 heures pour relier Mexico à New-York, en 1999, un cauchemar, une véritable overdose de Greyhound3

                         
                    L'esprit se libère 

L'idée de l'aventure qui va naître viendra d'une conversation à table, un soir, alors que je faisais part de mes réticences. Le plus naturellement du monde Ben a lancé sous forme de boutade la phrase suivante : « si tu veux, je t'apprends la moto et on y va en bécane. »
Sur le moment, j'en ai ri. N'ayant jamais fait ne serait-ce que de la mobylette ou du scooter de ma vie, je me voyais mal commencer à mon âge. Il y a cependant dans les voyages au long cours, de par le fait d'être arraché à nos habitudes et repères quotidiens, quelque chose qui abolit les frontières que la raison nous garderait en temps normal de franchir. Ce qui hier paraissait impossible devient soudain envisageable dans l'esprit qui recouvre petit à petit sa liberté, loin de nos conditionnements ordinaires. L'éloignement dans le temps et l'espace peuvent ainsi  rimer avec dépassement de soi. C'est d'ailleurs comme ça que, un mois plus tôt, je m'étais élancé d'un des plus beaux spots du Népal, sur les hauteurs de Pokara, pour un mémorable baptème de parapente. 

Lac de Pokhara, Népal (photo FG)

A mon manque total d'expérience, vient s'ajouter le fait que la route qui mène au Laddakh et conduit de la ville de Manali à celle de Leh est considérée comme une des plus dangereuses de l'Inde4 et cela, sans compter que naturellement, dans cette ancienne colonie britannique, on roule à gauche !


Malgré tout ça, l'idée de la moto va faire son petit bonhomme de chemin, et quand quelques jours plus tard je demanderai à Ben s'il était sérieux lorsqu'il proposait de m'apprendre à conduire, il acquiescera étonné. Je me dis qu'avec ce moyen de transport, si je ressens à nouveau les symptômes du mal des montagnes, j'aurai au moins la liberté de rebrousser chemin ! Il ne me restait plus qu'à convaincre ma femme, Azeret, de me laisser tenter l'aventure. Contre toute attente, ce ne fut pas si difficile.

à suivre ...

          FRédéric Gircour (chien.creole@gmail.com)



1 Myanmar est le nouveau nom de la Birmanie
2 C'était avant qu'il ne renonce à sa charge politique de représentant des Tibétains pour se consacrer uniquement à sa charge de leader spitrituel du bouddhisme tibétain.
3 Greyhound est une compagnie de bus bon marché qui couvre tout le territoire des Etats-Unis mais au confort très rudimentaire.
4 Voire une des plus dangereuse du monde si l'on en croit ce synopsis de l'émission "Les convois de l'extrême" (cliquer sur le lien), qui en rajoute un peu dans le sensationnalisme !